

Lancé par le Forum économique mondial (WEF) en 2020, le Great Reset se présente comme une réponse holistique à la crise systémique révélée par la pandémie de Covid-19. Ce programme vise à restructurer en profondeur l’économie mondiale, les modes de gouvernance, et les rapports sociaux. Derrière cette ambition globale se dessinent trois piliers majeurs : la transition écologique, la transformation numérique, et la refonte du contrat social. Ces axes, loin d’être neutres, traduisent une orientation idéologique précise qui mérite une analyse critique.

Le WEF fait de la transition écologique un pilier stratégique du Reset. Il promeut l’abandon progressif des énergies fossiles, l’intégration des critères ESG dans la finance, et la création de marchés du carbone étendus.
Toutefois, cette écologie est essentiellement marchande. Elle repose sur la financiarisation des enjeux climatiques, avec pour effet paradoxal d’intégrer la nature dans la logique spéculative du capitalisme globalisé. L’objectif n’est pas de remettre en question le modèle économique dominant, mais de le "verdir" sans en modifier les structures fondamentales.
Les principaux bénéficiaires de cette orientation sont les gestionnaires d’actifs, les grandes firmes énergétiques en reconversion, et les multinationales du numérique, positionnées comme solutions technologiques aux crises écologiques.

Le deuxième pilier du Great Reset repose sur l’accélération de la numérisation à tous les niveaux : télétravail, e-santé, éducation connectée, services publics digitalisés, économie des plateformes. Le WEF y voit une opportunité pour créer une société plus flexible, plus inclusive, et plus résiliente.
Mais cette révolution numérique est largement orchestrée par les grandes entreprises technologiques, partenaires historiques du Forum. La concentration des infrastructures, des données et des algorithmes entre les mains d’un nombre réduit d’acteurs soulève des enjeux majeurs de souveraineté et de libertés publiques.
Sous couvert d’efficacité, la transformation numérique promue par le WEF risque de renforcer une forme de gouvernance algorithmique, dans laquelle le citoyen devient un objet de pilotage prédictif plutôt qu’un sujet politique.

Le troisième pilier du Reset concerne la redéfinition du contrat social : repenser la fiscalité, les protections sociales, les droits des travailleurs, l’accès à la santé et à l’éducation. Le WEF appelle à une économie "plus inclusive", qui corrigerait les déséquilibres générés par le capitalisme néolibéral.
En réalité, cette refonte reste dominée par une approche technocratique. Elle vise moins à redonner du pouvoir aux citoyens qu’à intégrer les vulnérabilités dans une architecture globale d’impact investing et d’innovation sociale pilotée par le secteur privé.
Les populations deviennent des "bénéficiaires" gérés par des indicateurs de performance sociale, dans un système où la solidarité est progressivement remplacée par des logiques de rendement éthique.

Les trois piliers du Great Reset — économie verte, transformation numérique, refonte du contrat social — traduisent un projet cohérent mais profondément orienté. Derrière l’ambition de bâtir un monde plus équitable et durable se déploie une vision technocratique et managériale de la société, fondée sur la concentration du pouvoir décisionnel dans les mains d’acteurs privés globaux.
Le danger n’est pas tant dans les objectifs proclamés que dans les moyens choisis pour les atteindre. Il revient aux peuples et aux nations souveraines de reprendre la maîtrise des grandes transitions, afin que celles-ci soient portées par des logiques démocratiques, et non par l’agenda opaque d’une élite mondialisée.