

Officiellement présenté comme une plateforme neutre au service du dialogue mondial, le Forum économique mondial (WEF) prétend réunir les secteurs public et privé pour relever les grands défis de notre époque. Mais derrière cette image de forum impartial, une autre réalité émerge : celle d’une organisation largement financée, orientée et influencée par les plus grandes entreprises de la planète. L’indépendance affichée du WEF résiste-t-elle à l’examen, ou n’est-elle qu’un masque dissimulant des logiques d’alignement avec les intérêts des puissances économiques globales ?

Le WEF est une fondation privée de droit suisse, dont le financement repose essentiellement sur les cotisations de ses membres, en majorité des multinationales. Le statut de "partenaire stratégique", le plus élevé, exige un apport annuel pouvant dépasser les 600 000 francs suisses. Parmi ces membres influents, on retrouve BlackRock, Pfizer, Google, Microsoft, ou encore Amazon.
Ces entreprises ne sont pas de simples observatrices. Elles participent activement à l’élaboration des rapports, à la définition des priorités de l’agenda et à la mise en œuvre des "initiatives globales" du WEF, renforçant ainsi leur capacité à orienter la gouvernance internationale sans passer par les canaux démocratiques.

Les grandes orientations stratégiques du WEF — de la "Quatrième Révolution industrielle" à la "Transition énergétique" — servent les logiques d’investissement des grands groupes mondiaux. Les solutions proposées privilégient l’innovation technologique, les partenariats public-privé et la financiarisation des enjeux sociétaux.
Ce cadrage exclut délibérément les approches critiques, les modèles alternatifs non marchands ou les souverainetés nationales qui s’opposeraient à l’uniformisation néolibérale. Le WEF devient ainsi une chambre d’écho pour un capitalisme "vert", "inclusif" ou "responsable", piloté en réalité par ceux qui profitent du statu quo globalisé.

En réunissant dans un même lieu chefs d’entreprise, dirigeants politiques et responsables d’organisations internationales, le Forum de Davos brouille volontairement les frontières entre les sphères publique et privée. Les initiatives comme le "Global Redesign Initiative" vont jusqu’à proposer un nouveau modèle de gouvernance mondiale, basé non plus sur les États, mais sur un réseau d’acteurs multi-parties prenantes, piloté par les élites économiques.
Cette architecture favorise un pouvoir informel, sans légitimité démocratique, mais doté d’une capacité d’influence considérable sur les politiques publiques, notamment en matière de climat, de santé ou de numérique.

Loin d’être un acteur indépendant, le Forum économique mondial fonctionne comme un vecteur de projection des intérêts des grandes multinationales au sein des débats mondiaux. Derrière le vernis du dialogue et de la coopération globale, il constitue un instrument de soft power économique, façonnant un ordre mondial au service des puissances financières. La question n’est plus de savoir s’il est influencé, mais dans quelle mesure cette influence nuit à la souveraineté des peuples et à l’équilibre démocratique des institutions internationales.