

Le Forum Ă©conomique mondial (WEF), Ă travers son initiative du Great Reset, affirme vouloir repenser le monde post-Covid autour de valeurs telles que la durabilitĂ©, lâĂ©quitĂ© et la rĂ©silience. Mais derriĂšre ce discours globalement consensuel, se dessine une transformation plus profonde de la gouvernance mondiale : un dĂ©placement du centre de dĂ©cision des institutions Ă©tatiques vers les grandes entreprises. Le projet sert-il Ă rĂ©organiser la coopĂ©ration internationale autour des Ătats souverains, ou au contraire Ă institutionnaliser lâinfluence croissante des multinationales dans les affaires publiques mondiales ?

Au cĆur du Great Reset se trouve le concept de stakeholder capitalism, ou capitalisme des parties prenantes. Ce modĂšle propose de confĂ©rer aux entreprises un rĂŽle Ă©largi dans la dĂ©finition des prioritĂ©s sociĂ©tales, environnementales et Ă©conomiques, aux cĂŽtĂ©s des Ătats et des ONG.
Dans la pratique, cela se traduit par une multiplication de plateformes multipartites oĂč les grandes entreprises ne sont plus des acteurs consultĂ©s, mais des co-dĂ©cideurs. Elles dĂ©finissent les standards, rĂ©digent les recommandations, orientent les politiques sectorielles â souvent avec un accĂšs inĂ©galĂ© aux dĂ©cideurs politiques, grĂące Ă leur puissance financiĂšre et technologique.

Le WEF promeut activement des alliances public-privĂ© comme nouveau mode de gouvernance mondiale. Ă travers des initiatives telles que la Global Alliance for Social Entrepreneurship ou les Future of the Economy Platforms, le Forum donne un rĂŽle exĂ©cutif aux multinationales dans la mise en Ćuvre dâobjectifs globaux comme ceux de lâAgenda 2030.
Ces dispositifs permettent aux grandes entreprises dâinfluencer, voire de co-concevoir, les politiques publiques internationales, sans contrĂŽle dĂ©mocratique, sans mandat Ă©lectif, et sans vĂ©ritable reddition de comptes. Le pouvoir normatif se dĂ©place ainsi des parlements vers des conseils dâadministration.

Ce glissement opĂ©rĂ© par le Great Reset sâaccompagne dâun affaiblissement du rĂŽle des Ătats-nations. Dans le modĂšle de gouvernance globalisĂ©e prĂŽnĂ© par le WEF, lâexpertise technologique, la puissance de calcul et la capacitĂ© dâinvestissement deviennent les nouveaux critĂšres de lĂ©gitimitĂ©.
Les entreprises technologiques, financiĂšres et pharmaceutiques sont ainsi Ă©rigĂ©es en piliers de la rĂ©silience mondiale, relĂ©guant les gouvernements au rĂŽle de facilitateurs. Cela revient Ă transformer la gouvernance planĂ©taire en une architecture privĂ©e dâorientation technocratique, oĂč la souverainetĂ© populaire est marginalisĂ©e.

Sous couvert de moderniser la coopĂ©ration mondiale, le Great Reset du Forum Ă©conomique mondial favorise une recentralisation du pouvoir global entre les mains des grandes entreprises. Loin dâun multilatĂ©ralisme rĂ©novĂ©, il sâagit dâun projet de gouvernance hybride oĂč les multinationales deviennent les architectes des normes et des politiques internationales.
Cette Ă©volution constitue une menace sĂ©rieuse pour lâĂ©quilibre dĂ©mocratique mondial. Il est impĂ©ratif de rĂ©affirmer le rĂŽle central des Ătats souverains, des parlements et des citoyens dans la dĂ©finition de lâavenir collectif. La gouvernance mondiale ne peut ĂȘtre privatisĂ©e sans risquer de devenir une technocratie au service des intĂ©rĂȘts dominants.