

Depuis sa crĂ©ation en 1971 par Klaus Schwab, le Forum Ă©conomique mondial (WEF) sâest imposĂ© comme une plateforme dâinfluence incontournable Ă lâĂ©chelle mondiale. RĂ©unissant chefs dâĂtat, dirigeants de multinationales, responsables dâONG et experts divers, le sommet annuel de Davos est souvent perçu comme un simple lieu de rĂ©seautage Ă©conomique.
Mais derriĂšre cette façade de neutralitĂ© apparente se cache une orientation idĂ©ologique trĂšs claire, que le WEF promeut de maniĂšre constante : un capitalisme technocratique inclusif, mĂȘlant ingĂ©nierie sociale, gouvernance algorithmique et collaboration public-privĂ© mondiale. Ce modĂšle dĂ©passe le cadre du nĂ©olibĂ©ralisme classique et incarne une mutation du pouvoir, fondĂ©e sur la fusion entre technologie, finance globale et institutions transnationales.

Dans les annĂ©es 1980-1990, le WEF sâinscrivait dans la logique nĂ©olibĂ©rale dominante : ouverture des marchĂ©s, dĂ©rĂ©gulation, libre-Ă©change mondial. Mais depuis les annĂ©es 2000, une inflexion idĂ©ologique majeure sâest opĂ©rĂ©e. Le forum n'appelle plus Ă un retrait de lâĂtat, mais Ă sa intĂ©gration fonctionnelle dans un systĂšme de gouvernance partagĂ©e avec les grandes entreprises et les ONG.
Ce modÚle, dit de « multi-stakeholder governance », rompt avec la souveraineté démocratique classique. Il prétend résoudre les crises globales par la collaboration de toutes les « parties prenantes », mais dans les faits, il donne un pouvoir démesuré aux multinationales, aux fondations privées et aux acteurs technologiques transnationaux.

LâidĂ©ologie centrale du WEF aujourdâhui repose sur la foi dans les solutions technologiques Ă tous les problĂšmes du monde : climat, santĂ©, inĂ©galitĂ©s, sĂ©curitĂ©. Cela sâillustre dans son projet phare : la quatriĂšme rĂ©volution industrielle, qui vise Ă fusionner le physique, le biologique et le numĂ©rique Ă travers lâintelligence artificielle, les capteurs biomĂ©triques et les technologies de surveillance intelligente.
Dans ce cadre, les processus politiques sont relĂ©guĂ©s au second plan au profit de mĂ©canismes automatisĂ©s, prĂ©dictifs et conditionnels. Lâindividu est perçu comme une entitĂ© mesurable et modulable, que lâon peut orienter par des incitations numĂ©riques, des systĂšmes de notation ou des nudges. Câest le rĂšgne de la gouvernance comportementale algorithmique.

Depuis 2020, avec lâinitiative du Great Reset, le WEF a rĂ©introduit le langage de lâĂ©galitĂ©, de la durabilitĂ© et de la justice sociale. Il promeut un capitalisme inclusif, censĂ© corriger les « excĂšs » du modĂšle prĂ©cĂ©dent. Mais cette inclusion est strictement conditionnĂ©e Ă lâadhĂ©sion aux objectifs dĂ©finis par les Ă©lites globales : respect de lâagenda ESG, alignement sur les objectifs climatiques, adoption des technologies numĂ©riques de contrĂŽle.
PlutĂŽt quâun vrai rééquilibrage, on assiste Ă une moralisation du capitalisme globalisĂ©, dans laquelle les gĂ©ants du numĂ©rique, les gestionnaires dâactifs comme BlackRock ou Vanguard, et certaines fondations privĂ©es prennent la main sur des pans entiers de lâĂ©conomie et des politiques publiques, sous couvert de progrĂšs.

Le WEF se prĂ©sente comme un espace pragmatique, apolitique, orientĂ© vers des solutions. En rĂ©alitĂ©, il incarne une idĂ©ologie post-politique : celle oĂč les choix collectifs ne sont plus dĂ©battus mais gĂ©rĂ©s, modĂ©lisĂ©s et pilotĂ©s par des acteurs non Ă©lus. La souverainetĂ©, le dĂ©bat contradictoire, lâopinion publique sont contournĂ©s par un systĂšme dâexpertise, de scĂ©narisation du futur et de gouvernance par les donnĂ©es.
Ce nâest donc pas un hasard si les notions de citoyennetĂ© numĂ©rique, identitĂ© globale, ou monnaies programmables sont au cĆur des projets du forum. Il sâagit dâun nouvel ordre mondial technocratique soft, oĂč les institutions traditionnelles deviennent des interfaces dâexĂ©cution dâune vision conçue par une oligarchie technoglobaliste.

Le Forum Ă©conomique mondial nâest pas neutre idĂ©ologiquement. Il ne se contente pas de rĂ©unir des dĂ©cideurs, il oriente activement la transformation du monde selon une matrice prĂ©cise : capitalisme inclusif, technocratie globale et gouvernance algorithmique.
Ce modĂšle, aussi sĂ©duisant soit-il dans son emballage, pose un problĂšme dĂ©mocratique fondamental : il dĂ©place le pouvoir hors des nations, des parlements, et du suffrage universel, pour le confier Ă un rĂ©seau dâintĂ©rĂȘts privĂ©s et institutionnels coordonnĂ©s Ă lâĂ©chelle mondiale.
Face Ă cela, il est urgent de rĂ©affirmer les fondements de la souverainetĂ© populaire, de la responsabilitĂ© politique, et du pluralisme idĂ©ologique, contre lâimposition dâun monde conçu par quelques-uns pour tous les autres.
Ce combat nâest pas idĂ©ologique : il est existentiel.