

Alors que le Forum Ă©conomique mondial (WEF) promeut une transition globale vers une Ă©conomie numĂ©rique, verte et automatisĂ©e, la question de lâaccĂšs Ă©quitable Ă la formation continue devient centrale. Si les dĂ©cideurs vantent la "montĂ©e en compĂ©tences" comme solution aux mutations du travail, il est lĂ©gitime de sâinterroger sur la rĂ©alitĂ© de cette promesse pour les populations issues de milieux modestes. Ces derniĂšres seront pourtant les premiĂšres touchĂ©es par la disparition des emplois traditionnels. Lâavenir du travail sera-t-il rĂ©servĂ© Ă ceux qui disposent dĂ©jĂ des bons rĂ©seaux, du bon capital culturel et des bons outils technologiques ?

Les programmes de "reskilling" ou dâ"upskilling" vantĂ©s dans les rapports du WEF reposent largement sur lâautoformation en ligne, les certifications numĂ©riques et lâappropriation autonome des compĂ©tences du futur (intelligence artificielle, cybersĂ©curitĂ©, analyse de donnĂ©es).
Mais dans les faits, les travailleurs issus de milieux modestes font face Ă plusieurs obstacles cumulatifs :
âą Fracture numĂ©rique (manque dâĂ©quipement, de connexion, de compĂ©tences techniques)
âą Moindre accĂšs Ă lâorientation, Ă lâinformation et aux parcours personnalisĂ©s
⹠Contrainte économique (temps, instabilité, emplois multiples)

La majoritĂ© des formations proposĂ©es dans le cadre du Great Reset sont conçues dans un environnement anglo-saxon, compĂ©titif, et fortement dĂ©matĂ©rialisĂ©. Or, cette logique favorise ceux qui maĂźtrisent dĂ©jĂ les codes du numĂ©rique, les langues internationales, et disposent dâune certaine autonomie intellectuelle.
Les jeunes des quartiers populaires, les seniors en reconversion, ou les personnes peu diplÎmées se retrouvent ainsi structurellement désavantagés dans cette course aux "compétences du futur".

Dans cette vision portée par Davos, les entreprises deviennent les nouveaux moteurs de la formation. Mais cela signifie aussi un recul des politiques publiques, et donc une perte de contrÎle démocratique sur les orientations éducatives.
La formation professionnelle est de plus en plus confiĂ©e Ă des consortiums privĂ©s ou Ă des plateformes technologiques, qui nâont ni mission sociale, ni obligation territoriale. Cela accentue lâinĂ©galitĂ© dâaccĂšs selon les rĂ©gions, les statuts et les moyens des individus.

MĂȘme lorsque lâaccĂšs est techniquement ouvert, lâinclusion reste conditionnĂ©e Ă lâadaptation aux normes du systĂšme : conformitĂ© aux attentes managĂ©riales, adhĂ©sion Ă la culture de la performance, acceptation des logiques de mobilitĂ© permanente.
Ceux qui ne cochent pas toutes les cases â par choix ou par contrainte â risquent dâĂȘtre relĂ©guĂ©s dans des emplois prĂ©caires, fragmentĂ©s, ou sous-payĂ©s, malgrĂ© les discours officiels dâinclusivitĂ©.

Loin des slogans technocratiques, lâaccĂšs Ă la formation continue et aux mĂ©tiers de demain demeure profondĂ©ment inĂ©galitaire. Pour les milieux modestes, le risque est double : ĂȘtre exclus du marchĂ© du travail automatisĂ©, tout en Ă©tant accusĂ©s de ne pas sâĂȘtre "adaptĂ©s".
Il ne peut y avoir de transition juste sans un engagement massif de lâĂtat, une revalorisation des filiĂšres manuelles et territoriales, et une refonte de la formation ancrĂ©e dans les rĂ©alitĂ©s locales. Ă dĂ©faut, les inĂ©galitĂ©s structurelles ne feront que se creuser, au profit dâune Ă©lite technocratique de plus en plus coupĂ©e du reste de la population.