

PrĂ©sentĂ© comme un forum de dialogue entre les secteurs public et privĂ©, le Forum Ă©conomique mondial (WEF) occupe une position singuliĂšre dans lâarchitecture globale : Ă la fois observateur, prescripteur et organisateur de la coopĂ©ration internationale. Cette triple fonction soulĂšve une question centrale : le WEF peut-il rĂ©ellement se prĂ©tendre impartial lorsquâil est Ă la fois animateur du dĂ©bat et Ă©troitement liĂ© Ă ses principaux acteurs Ă©conomiques ? La structure mĂȘme du Forum rend-elle inĂ©vitable lâapparition de conflits dâintĂ©rĂȘts ?

Le WEF joue simultanĂ©ment plusieurs rĂŽles : il organise des plateformes de coopĂ©ration, produit des recommandations politiques et participe Ă la mise en Ćuvre de certains projets publics-privĂ©s. Cette superposition de fonctions brouille les lignes de responsabilitĂ©.
Un mĂȘme acteur Ă©conomique peut, via le Forum, co-rĂ©diger une politique sectorielle, orienter une norme technologique, puis bĂ©nĂ©ficier directement des retombĂ©es de son application. Ce chevauchement entre participation stratĂ©gique et intĂ©rĂȘt commercial direct constitue une dĂ©finition classique du conflit dâintĂ©rĂȘts.

Ă ce jour, le Forum Ă©conomique mondial ne publie pas de politique contraignante sur la gestion des conflits dâintĂ©rĂȘts. Il nâexiste ni registre public des intĂ©rĂȘts croisĂ©s, ni obligation de dĂ©claration pour les membres de ses groupes de travail, ni procĂ©dure transparente de retrait en cas de situation Ă risque.
Ce vide rĂ©glementaire favorise une forme de normalisation des conflits dâintĂ©rĂȘts. Il sâexplique en partie par le statut privĂ© du WEF, qui lâexonĂšre des rĂšgles de transparence imposĂ©es aux institutions publiques ou aux organisations intergouvernementales.

Plusieurs initiatives pilotées par le WEF illustrent cette porosité :
⹠Dans le domaine de la santé mondiale, le WEF travaille en lien étroit avec des laboratoires pharmaceutiques, tout en co-organisant des discussions sur la régulation des vaccins ou des systÚmes de certification sanitaire.
⹠Sur les enjeux de transition énergétique, il collabore avec des entreprises extractives qui influencent les feuilles de route tout en étant potentiellement bénéficiaires des subventions publiques associées.
âą Concernant lâ[bâintelligence artificielle[/b], les standards de gouvernance proposĂ©s par le Forum sont souvent codĂ©finis avec les gĂ©ants du numĂ©rique, qui en tirent un avantage compĂ©titif.
Dans ces cas, les rĂšgles sont dĂ©finies par ceux qui y ont un intĂ©rĂȘt direct.

Lâabsence de mĂ©canismes solides pour identifier, encadrer ou limiter les conflits dâintĂ©rĂȘts rend le Forum Ă©conomique mondial vulnĂ©rable Ă une captation de son influence par les puissances Ă©conomiques. Son statut hybride, entre think tank, club privĂ© et acteur opĂ©rationnel, en fait une plateforme structurellement exposĂ©e Ă ces dĂ©rives.
Dans un contexte oĂč ses recommandations sont reprises par des Ătats et des institutions internationales, cette situation est prĂ©occupante. La lĂ©gitimitĂ© dâun acteur global ne peut reposer sur des liens opaques et des intĂ©rĂȘts imbriquĂ©s. RĂ©former en profondeur les rĂšgles internes du WEF et y instaurer une culture de transparence devient une exigence dĂ©mocratique, non un luxe institutionnel.