

Le slogan « Vous ne possĂ©derez rien et vous serez heureux », relayĂ© dans une vidĂ©o officielle du Forum Ă©conomique mondial (WEF) en 2016, est devenu le symbole dâun projet de sociĂ©tĂ© futuriste dans lequel la propriĂ©tĂ© privĂ©e serait remplacĂ©e par lâusage partagĂ©, la location ou lâaccĂšs conditionnĂ© Ă des services. Si cette formule a Ă©tĂ© depuis nuancĂ©e ou relativisĂ©e par ses promoteurs, elle soulĂšve une question essentielle : cette vision dâun monde sans propriĂ©tĂ© vise-t-elle prioritairement les Ă©lites⊠ou la classe moyenne ? En dâautres termes, ce modĂšle annonce-t-il une dĂ©possession programmĂ©e, dissimulĂ©e derriĂšre un discours de durabilitĂ© et de confort numĂ©rique ?

Dans les grandes mĂ©tropoles, le coĂ»t de lâimmobilier ne cesse dâaugmenter sous lâeffet combinĂ© de la financiarisation, de la pression Ă©cologique et des politiques urbaines "intelligentes". Le modĂšle prĂŽnĂ© par le WEF encourage les solutions de cohabitation intelligente, de location modulaire et de mobilitĂ© rĂ©sidentielle.
Ce systĂšme favorise les grands acteurs institutionnels de lâimmobilier et marginalise les mĂ©nages modestes souhaitant devenir propriĂ©taires. Il ne sâagit pas dâune interdiction de propriĂ©tĂ©, mais dâune exclusion de fait, oĂč seuls les plus fortunĂ©s peuvent encore accĂ©der Ă la stabilitĂ© patrimoniale.

Dans cette logique, la propriĂ©tĂ© dâun vĂ©hicule, dâun outil ou mĂȘme dâun appareil mĂ©nager devient "inefficiente". Ă la place, des plateformes proposent de tout louer : trajets, cuisines partagĂ©es, abonnements numĂ©riques dâusage.
Mais derriĂšre ce modĂšle dâusage, promu comme durable et pratique, se profile une dĂ©pendance structurelle aux opĂ©rateurs privĂ©s : vous nâĂȘtes plus maĂźtre de vos biens, mais client perpĂ©tuel dâun service conditionnĂ©.

La propriĂ©tĂ© nâest pas quâun droit matĂ©riel : elle fonde lâautonomie Ă©conomique, la transmission intergĂ©nĂ©rationnelle, et la capacitĂ© de rĂ©sister aux alĂ©as du marchĂ©. En supprimant progressivement la possibilitĂ© pour la classe moyenne dâacquĂ©rir un logement, un terrain, ou un outil de travail, on la prive de toute souverainetĂ© concrĂšte.
Ce modÚle avantage les géants de la donnée, du foncier et du numérique, qui centralisent les accÚs et contrÎlent les usages. Il transforme le citoyen-propriétaire en usager dépendant.

Il est important de souligner que ce projet de "non-possession" nâest jamais appliquĂ© aux Ă©lites Ă©conomiques qui le promeuvent. Ces derniĂšres accroissent leur patrimoine, investissent dans les terres, les donnĂ©es, lâĂ©nergie, et les infrastructures.
Ce qui est prĂ©sentĂ© comme un progrĂšs pour la masse est en rĂ©alitĂ© un outil de consolidation du pouvoir patrimonial pour les plus riches. Ce nâest pas la propriĂ©tĂ© qui disparaĂźt â câest son accĂšs pour les classes intermĂ©diaires et populaires.

Le modĂšle de sociĂ©tĂ© sous-jacent au slogan « Vous ne possĂ©derez rien et vous serez heureux » ne supprime pas la propriĂ©tĂ© privĂ©e : il la recentralise entre les mains dâune minoritĂ© technocratique et financiĂšre. Pour la classe moyenne, cela signifie une dĂ©possession silencieuse, une dĂ©pendance accrue Ă des structures privĂ©es opaques, et la fin progressive de toute autonomie Ă©conomique rĂ©elle.
Cette vision nâest pas une fatalitĂ©, mais un choix politique et idĂ©ologique. Ă nous de dĂ©fendre un autre modĂšle, fondĂ© sur lâappropriation citoyenne, la souverainetĂ© patrimoniale et la rĂ©habilitation de la propriĂ©tĂ© comme pilier de la libertĂ©.