

Le concept de revenu universel â ou revenu de base â suscite un regain dâintĂ©rĂȘt depuis la crise du Covid-19 et dans le cadre des rĂ©flexions portĂ©es par le Forum Ă©conomique mondial (WEF) sur le futur du travail. PrĂ©sentĂ© comme un filet de sĂ©curitĂ© face Ă lâautomatisation et Ă la prĂ©carisation croissante, ce dispositif sĂ©duit par sa simplicitĂ© apparente : un revenu versĂ© Ă tous, sans condition. Mais derriĂšre cette promesse dâĂ©mancipation, certains y voient au contraire un instrument de contrĂŽle social sophistiquĂ©, masquĂ© par un vernis de justice Ă©conomique.

Le revenu universel sâinscrit dans un contexte de mutation accĂ©lĂ©rĂ©e du marchĂ© du travail : disparition des emplois faiblement qualifiĂ©s, gig economy, automatisation de masse. Il sâagit alors non plus de crĂ©er des emplois pour tous, mais de garantir un minimum de consommation pour Ă©viter les rĂ©voltes sociales.
Ce revenu devient ainsi un substitut Ă la place sociale du travail, offrant un pouvoir dâachat rĂ©duit mais suffisant pour survivre dans une sociĂ©tĂ© numĂ©risĂ©e, Ă condition de rester conforme au systĂšme.

Dans la vision portĂ©e par certains acteurs du WEF, ce revenu pourrait ĂȘtre versĂ© via une monnaie numĂ©rique de banque centrale (MNBC), associĂ©e Ă une identitĂ© numĂ©rique.
Ce modĂšle permettrait une programmabilitĂ© fine des dĂ©penses : gĂ©olocalisation des achats, restrictions sur certains produits, dĂ©sactivation en cas de non-respect de normes comportementales (empreinte carbone, civisme, etc.). On passe ainsi dâun droit universel Ă une allocation sous conditions, modulable Ă volontĂ©.

Un revenu sans travail peut Ă terme engendrer une dĂ©socialisation massive. Sans fonction productive reconnue, lâindividu devient un "ayant droit" administrĂ©, dĂ©pendant dâune autoritĂ© centrale pour survivre.
Cette dĂ©pendance peut affaiblir la capacitĂ© Ă contester, Ă sâorganiser collectivement, Ă sâĂ©manciper. Le citoyen autonome est remplacĂ© par un bĂ©nĂ©ficiaire conforme, dont la subsistance est conditionnĂ©e par sa docilitĂ© au systĂšme.

Dans une sociĂ©tĂ© marquĂ©e par les inĂ©galitĂ©s croissantes, le revenu universel peut aussi servir Ă acheter la paix sociale. Il Ă©vite de remettre en cause la concentration des richesses, en distribuant des miettes numĂ©riques tout en laissant intact le pouvoir structurel des grandes plateformes, des multinationales et des gestionnaires dâinfrastructures.
Il transforme la question du pouvoir en simple question de redistribution automatisée, hors du champ démocratique.

Loin dâĂȘtre un outil neutre ou Ă©mancipateur, le revenu universel, tel quâil est pensĂ© dans certaines sphĂšres transnationales comme le Forum Ă©conomique mondial, pourrait devenir un instrument de gestion comportementale des masses prĂ©caires.
Sâil nâest pas encadrĂ© par une souverainetĂ© politique, ancrĂ© dans une logique de participation citoyenne rĂ©elle et dissociĂ© des technologies de contrĂŽle, il risque de substituer lâĂ©mancipation par le travail par une normalisation silencieuse des populations dĂ©pendantes.
La question nâest pas seulement Ă©conomique, mais profondĂ©ment politique : qui dĂ©cide ? qui contrĂŽle ? et au profit de quelle vision de lâhomme et de la sociĂ©tĂ© ?