

À travers son agenda de transformation globale, le Forum économique mondial (WEF) ambitionne de réorganiser l’économie mondiale sur des bases plus durables, technologiques et inclusives. Mais cette modernisation, portée par le Great Reset, semble aussi accompagner — voire amplifier — une dynamique de fond : l’érosion de la classe moyenne, pilier historique des sociétés occidentales. La polarisation entre une élite technocratique mondialisée et une masse de travailleurs précaires, numérisés et fragmentés, devient de plus en plus tangible. Cette fracture annonce-t-elle la disparition programmée de la classe moyenne telle qu’on la connaît ?

Depuis les années 2000, la classe moyenne subit une pression constante : stagnation des salaires, explosion des prix de l’immobilier, délocalisations industrielles, précarisation de l’emploi. Le Great Reset, en accélérant la transition numérique et écologique sans accompagnement structurel, risque d’aggraver ce déclassement.
La montée des normes ESG, les taxes carbone, la digitalisation des services et la financiarisation du logement contribuent à renchérir le coût de la vie sans compenser les pertes en pouvoir d’achat. Les ménages intermédiaires voient leur stabilité fondre au profit d’un modèle fluide, piloté par la performance et l’adaptabilité.

Le modèle socio-économique promu par le WEF repose sur une transformation radicale du travail : télétravail, ubérisation, automatisation, freelancing globalisé. Ce paradigme favorise une mobilité permanente, mais désintègre les protections traditionnelles de la classe moyenne (CDI, syndicats, retraites, logement social).
Ce nouveau marché du travail est dominé par des plateformes privées, qui imposent leurs algorithmes, leurs critères, leurs règles — souvent au détriment de toute souveraineté nationale. Les travailleurs deviennent des "agents de service" délocalisés, évalués en temps réel, soumis à une logique d’optimisation permanente.

En parallèle, une élite hyperconnectée — composée de dirigeants de multinationales, d’experts institutionnels, de décideurs technologiques — consolide sa position dominante. Elle échappe aux contraintes territoriales, bénéficie de privilèges fiscaux, et oriente les grandes réformes globales via des forums comme Davos.
Cette élite façonne les règles du jeu économique, social et environnemental tout en étant hors d’atteinte des dynamiques démocratiques. Elle incarne un nouveau clivage vertical : non plus gauche/droite, mais centre mobile/majorité enracinée.

La disparition progressive de la classe moyenne entraînerait une polarisation de la société en deux pôles :
• Une élite minoritaire, mobile, propriétaire des infrastructures technologiques, détentrice de capital et de mobilité décisionnelle.
• Une majorité fragmentée, surendettée, dépendante des plateformes, sans capital patrimonial ni sécurité professionnelle.
Ce clivage prépare le terrain à des tensions sociales majeures, nourries par la perte d’ascenseur social et l’extinction des repères collectifs de stabilité.

Le Great Reset, en prétendant moderniser le monde, pourrait bien enterrer la classe moyenne, cette force stabilisatrice qui a structuré les démocraties modernes. En favorisant un modèle d’élite technocratique déterritorialisée face à une population précarisée, il construit un monde polarisé, instable et fondamentalement inégal.
Plutôt que d’accélérer cette dynamique, il est urgent de repenser un modèle économique enraciné, équilibré, et protecteur pour ceux qui n’ont ni fonds spéculatifs, ni passeport diplomatique. Redonner sens à la classe moyenne, c’est défendre la démocratie réelle contre l’utopie froide d’une gouvernance algorithmique globale.