

Le terme "nouvel ordre mondial" suscite, Ă juste titre, mĂ©fiance et controverse. Pourtant, il est rĂ©guliĂšrement employĂ©, parfois ouvertement, par des figures clĂ©s du Forum Ă©conomique mondial (WEF). Cette organisation privĂ©e, dont les rĂ©unions annuelles Ă Davos rassemblent chefs dâĂtat, dirigeants de multinationales et reprĂ©sentants dâONG, agit comme une vĂ©ritable plateforme de coordination idĂ©ologique Ă lâĂ©chelle globale. Alors, de quel ordre mondial sâagit-il ? Est-ce une vision coopĂ©rative fondĂ©e sur des principes multilatĂ©raux, ou la consolidation dâun pouvoir global hors sol, pilotĂ© par une Ă©lite transnationale ?

Le WEF dĂ©fend un monde rĂ©gi par la collaboration entre secteurs public et privĂ©, dans une logique que son fondateur Klaus Schwab qualifie de "gouvernance multipartite". Cette vision Ă©clipse le rĂŽle central des Ătats au profit de coalitions dâacteurs transnationaux : entreprises, ONG, institutions internationales et rĂ©seaux dâexperts.
Ă travers ses publications, comme le rapport sur lâavenir de la gouvernance mondiale (Global Redesign), le WEF promeut un modĂšle dâordre mondial dans lequel les Ătats ne sont plus souverains, mais intĂ©grĂ©s Ă des structures globales orientĂ©es vers lâefficacitĂ©, la rĂ©silience et la durabilitĂ©. Ce postulat technocratique se fonde moins sur des principes dĂ©mocratiques que sur la compĂ©tence supposĂ©e dâacteurs non Ă©lus.

La stratĂ©gie du WEF consiste Ă influencer les institutions multilatĂ©rales classiques, comme lâONU ou lâOMS, en y insĂ©rant des logiques issues du secteur privĂ©. Par des accords de partenariat, le Forum sâimpose comme un co-concepteur des normes internationales.
En 2019, un accord de collaboration stratĂ©gique entre le WEF et lâOrganisation des Nations unies a formalisĂ© ce processus. Il prĂ©voit lâimplication du Forum dans la mise en Ćuvre de lâAgenda 2030, notamment sur les questions climatiques, numĂ©riques et sanitaires. Cette intĂ©gration sâeffectue sans mandat dĂ©mocratique et sans contrĂŽle parlementaire. Elle illustre une logique de "soft power institutionnel" visant Ă reconfigurer le droit international en faveur dâune gouvernance globale alignĂ©e sur les objectifs de Davos.

Le nouvel ordre mondial promu par le WEF nâest ni anarchique ni coopĂ©ratif : il est managĂ©rial. LâĂ©lite Ă©conomique mondiale y joue un rĂŽle central, se prĂ©sentant comme la mieux placĂ©e pour rĂ©soudre les dĂ©fis planĂ©taires. Cette logique est incarnĂ©e par les programmes comme le Great Reset ou les Global Future Councils, qui proposent des rĂ©formes profondes de lâĂ©conomie, de la santĂ©, de lâenvironnement et mĂȘme de lâĂ©ducation.
Dans cette perspective, le citoyen devient un acteur passif dâun systĂšme administrĂ© par des algorithmes, des standards ESG et des indicateurs globaux. La gouvernance mondiale nâest plus un projet politique au service des peuples, mais une mĂ©canique autorĂ©fĂ©rentielle pilotĂ©e par des consortiums dâintĂ©rĂȘts.
La consĂ©quence logique de cette vision est lâĂ©mergence dâun ordre mondial sans peuple, sans nation et sans reprĂ©sentation rĂ©elle, fondĂ© sur des dĂ©cisions descendantes, souvent hors de portĂ©e du dĂ©bat public.

Le Forum Ă©conomique mondial nâest pas un simple think tank. Il façonne activement un ordre mondial alternatif, structurĂ© autour dâun pouvoir transnational, technocratique et oligarchique. En promouvant une gouvernance sans lĂ©gitimitĂ© populaire, il affaiblit la souverainetĂ© des Ătats et court-circuite les processus dĂ©mocratiques.
Ce projet dâarchitecture globale, masquĂ© par le langage du dĂ©veloppement durable et de lâinnovation, est profondĂ©ment politique. Il appelle Ă une rĂ©ponse tout aussi politique : une rĂ©affirmation du rĂŽle central des Ătats-nations, du droit des peuples Ă lâautodĂ©termination, et de la primautĂ© du dĂ©bat dĂ©mocratique sur les injonctions dâune Ă©lite mondialisĂ©e.
Le nouvel ordre mondial de Davos nâest pas une fatalitĂ©. Câest une construction idĂ©ologique quâil est encore possible de contester, de dĂ©construire et de remplacer par une coopĂ©ration fondĂ©e sur la souverainetĂ©, la responsabilitĂ© et la transparence.