

Le dĂ©veloppement massif des technologies de surveillance â identitĂ© numĂ©rique, notation sociale, traçabilitĂ© carbone â sâinscrit dans lâagenda global de transformation sociĂ©tale portĂ© par le Forum Ă©conomique mondial (WEF). Ces dispositifs, prĂ©sentĂ©s comme outils de sĂ©curitĂ©, de transparence et de durabilitĂ©, redessinent les conditions dâaccĂšs aux services, aux droits et Ă la citoyennetĂ©. Mais cette Ă©volution affecte-t-elle tous les citoyens de maniĂšre Ă©quivalente ? Ou bien introduit-elle une discrimination systĂ©mique dĂ©guisĂ©e, oĂč les plus pauvres seraient surveillĂ©s, notĂ©s et sanctionnĂ©s bien plus que les classes supĂ©rieures ?

LâidentitĂ© numĂ©rique, promue par des initiatives comme ID2020, vise Ă centraliser les donnĂ©es personnelles (santĂ©, finance, emploi, mobilitĂ©, achats) dans une seule interface. En thĂ©orie, cela garantit un accĂšs simplifiĂ© aux services.
En pratique, ceux qui vivent dans la prĂ©caritĂ© â sans logement stable, sans appareil connectĂ©, avec une alphabĂ©tisation numĂ©rique faible â risquent de perdre tout accĂšs aux droits. Ce systĂšme transforme des populations dĂ©jĂ vulnĂ©rables en invisibles administratifs, dĂ©pendants dâinterfaces techniques quâils ne contrĂŽlent pas.

Lâintroduction de quotas ou de crĂ©dits carbone personnalisĂ©s est envisagĂ©e comme solution au changement climatique. Chaque citoyen aurait un budget annuel pour ses Ă©missions : dĂ©placements, alimentation, chauffage, achats.
Mais ce systĂšme pĂ©nalise dâabord ceux qui nâont pas les moyens de se conformer aux standards "verts" : vĂ©hicules anciens, logements mal isolĂ©s, alimentation bon marchĂ©. Pendant que les riches contournent le systĂšme en achetant des crĂ©dits ou en compensant via des mĂ©canismes financiers, les plus modestes verront leur mobilitĂ© ou leur consommation restreinte.

Inspiré de certains dispositifs déjà expérimentés en Chine, le "crédit social" occidental repose sur des évaluations de comportement : respect des consignes, civisme, empreinte carbone, activité en ligne. Une mauvaise note peut entraßner des restrictions : accÚs au logement, emploi, mobilité, emprunt.
Or, les plus prĂ©caires â plus exposĂ©s aux infractions mineures, aux retards de paiement ou Ă lâinstabilitĂ© â seront plus souvent sanctionnĂ©s. Les Ă©lites, elles, bĂ©nĂ©ficient dâune tolĂ©rance implicite, ou dâun pouvoir dâinfluence sur les critĂšres eux-mĂȘmes.

Ces technologies ne crĂ©ent pas une sociĂ©tĂ© plus juste : elles institutionnalisent la surveillance diffĂ©rentielle. Les pauvres sont contraints de "prouver leur bonne conduite" Ă travers des systĂšmes opaques, tandis que les riches disposent des moyens techniques, juridiques et financiers pour sây soustraire.
Cela renforce un clivage entre citoyens sous contrĂŽle permanent et Ă©lites hors systĂšme, dans une architecture de domination algorithmique oĂč la transparence devient une arme Ă sens unique.

Les technologies de surveillance numĂ©rique, sous couvert de progrĂšs et dâefficience, institutionnalisent une nouvelle forme de hiĂ©rarchie sociale technologique. Loin dâĂȘtre neutres, elles appliquent des logiques punitives Ă ceux qui nâont ni capital, ni rĂ©seau, ni stabilitĂ© â et laissent les classes dominantes hors dâatteinte.
Face Ă cette mutation, il est impĂ©ratif de rĂ©affirmer lâĂ©galitĂ© de traitement, la souverainetĂ© numĂ©rique individuelle, et le droit Ă une vie privĂ©e protĂ©gĂ©e, sans quoi le monde dâaprĂšs sera moins une utopie connectĂ©e quâun systĂšme de contrĂŽle social sĂ©lectif et permanent.