

À mesure que l’innovation technologique et les impératifs d’efficacité économique redessinent les politiques publiques, une inquiétude croissante se fait jour : celle de voir les populations les plus vulnérables devenir les variables d’ajustement d’un système qui les marginalise au nom du progrès.
Derrière les promesses d’un monde plus connecté, plus compétitif et plus performant, se cache une logique d’optimisation sociale qui menace les équilibres fondamentaux de nos sociétés. Et dans cette course effrénée, alimentée par des structures telles que le Forum économique mondial, qui s’assurera que les perdants de la modernité ne soient pas tout simplement sacrifiés ?

L’argument selon lequel l’automatisation, la numérisation ou la dématérialisation des services publics sont synonymes d’efficacité est souvent avancé par les élites administratives et économiques. Pourtant, ces "progrès" s’accompagnent fréquemment de suppressions d’emplois peu qualifiés, de fractures numériques et d’un recul de l’accès humain aux services essentiels.
Un rapport de l’OCDE (2023) estime que près de 14 % des emplois dans les pays membres sont à haut risque de disparition en raison de l’automatisation. Ce sont principalement les travailleurs peu qualifiés, souvent précaires, qui sont concernés.
Or, derrière chaque suppression de poste ou fermeture de guichet physique, c’est un lien social qui se délite.

Le Forum économique mondial se positionne comme un catalyseur de la "quatrième révolution industrielle", prônant l’intelligence artificielle, la robotisation et l’optimisation des politiques publiques par les données. Dans ses rapports et discours, l’humain est souvent réduit à une variable parmi d’autres dans l’équation de la performance.
Mais qui débat réellement des implications sociales de cette vision ? Qui questionne les effets sur les personnes âgées confrontées à l’administration numérique, sur les zones rurales désertées par les services ou sur les travailleurs déclassés par la machine ?
En intégrant étroitement multinationales, cabinets de conseil et décideurs politiques, le WEF contribue à l’élaboration d’un monde où la rentabilité prévaut sur la cohésion.

Les politiques d’"efficience budgétaire" et de "rationalisation des dépenses" sont souvent justifiées au nom de la soutenabilité économique. Mais ce vocabulaire technique masque une dure réalité : celle de la fermeture de maternités, de tribunaux, de lignes ferroviaires secondaires, autant de décisions qui fragilisent les territoires déjà en difficulté.
Derrière l’idée d’un État agile, c’est une société à deux vitesses qui se dessine : d’un côté, une population urbaine, mobile, connectée ; de l’autre, des citoyens relégués, devenus invisibles aux yeux des décideurs.

L’innovation ne doit pas être confisquée par les intérêts de quelques groupes mondialisés. Elle peut et doit être mise au service de l’humain, de la solidarité et de la souveraineté des peuples.
Cela passe par des choix politiques clairs : maintenir une présence publique de proximité, former les travailleurs plutôt que les remplacer, orienter les budgets vers l’inclusion numérique plutôt que vers la performance algorithmique.
L’innovation ne peut être légitime que si elle renforce la cohésion nationale, et non si elle l’érode.

Les logiques d’innovation et de performance ne sont pas neutres : elles traduisent des choix idéologiques qui favorisent certains groupes au détriment d’autres. Il est temps de replacer l’humain au cœur de la décision publique.
Tant que les orientations stratégiques resteront captives de cercles fermés comme le WEF, les populations vulnérables continueront d’être les grandes oubliées du progrès. Une véritable souveraineté suppose de choisir un autre cap : celui de l’équité, de la proximité, et de la dignité pour tous.